La dame du manoir de Wildfell Hall d'Anne Brontë
Roman classique
Format poche
Traduction : Henri Fagne
Edition : Archipoche
Date de parution : 2018
Nombre de pages : 576
Qui est la mystérieuse nouvelle locataire de Wildfell Hall? On ne sait pas d'où vient cette artiste qui se fait appeler Mrs Graham, se dit veuve et vit comme une recluse avec son jeune fils. Son arrivée alimente toutes les rumeurs dans la petite communauté villageoise et éveille l'intérêt puis l'amour d'un cultivateur, Gilbert Markham. La famille de Gilbert est opposée à cette relation et petit à petit, Gilbert lui-même se met à douter de sa secrète amie. Quel est le drame qu'elle lui cache ? Et pourquoi son voisin, Frederick Lawrence, veille-t-il si jalousement sur elle ?
Publié en 1848, La dame du manoir de Wildfell Hall possède une certaine modernité grâce à une vision éclairée du statut de la femme et des désirs d'émancipation qu'a su retranscrire Anne Brontë. Ce roman s'est donc révélé agréable de par son genre classique mais aussi par son message.
Tout commence dans un paysage anglais battu par les vents, isolé, tel que les chérissent les soeurs Brontë. Sans doute inspirée par l'endroit où elle a vécu, Anne nous décrit une Angleterre rurale pleine de charme et où les habitants passent leur temps entre le travail, la religion et les cancans. Ces derniers prennent une importance notable lorsque s'installe dans une vieille demeure délabrée Mrs Graham, jeune veuve accompagnée de son fils Arthur. Son erreur : ne pas se présenter et ne pas se rendre amicale ce qui va déchaîner sur elle les foudres des habitants qui multiplient les rumeurs sur son compte. Le narrateur Gilbert Markham lui tombe amoureux de cette femme discrète mais ne peut s'empêcher d'avoir des doutes sur la dame.
Dans cette histoire, les hommes en prennent pour leur grade même le narrateur. Jalousie féroce, violence, humiliations, alcoolisme et autres drogues s'emparent des hommes pour le pire. Les mariages décrits ressemblent à l'enfer tant l'époux préfère son bon plaisir quitte à perdre le respect que de profiter des joies et des peines de la vie conjugale. Et ces dames, malheureusement de par leur éducation, excusent ces malotrus, prennent leur rôle comme un moyen de devenir des saintes. Mais cette mystérieuse Mrs Graham qui nous raconte son passé via son journal décide un beau jour qu'elle en a assez et que son erreur de jeunesse ne mérite pas tant de sacrifices. Car finalement ce qu'Anne Brontë nous explique c'est que les adorables jeunes filles sont emplies d'idées romanesques sur le mariage et l'amour et que malgré les avertissements réitérés des femmes plus âgées, elles tombent toutes dans le terrible piège de gentlemen peu scrupuleux. On parle aujourd'hui de pervers narcissiques, de manipulateurs car c'est bien ce que sont ces hommes dont certains sont ouvertement misogynes. Seuls quelques-uns semblent sortir du lot, s'extirpant des influences néfastes mais restent des personnes nocives.
De par son héroïne, l'autrice démontre la volonté d'émancipation de femmes instruites et intelligentes qui gâchent leurs vies dans des mariages malheureux. L'expression par l'art ou l'écriture, la solidarité entre épouses bafouées, la révolte sous-jacente envers les traitements masculins deviennent des armes pour résister, pour s'émanciper jusqu'à avoir le courage de partir. Le déclic vient ici de l'amour filial et de la corruption de l'enfance par ces hommes idiots d'ivresse et de drogue. Une force incommensurable va émerger de la mère pour briser les chaînes de la possession.
Toutefois l’emballement n'est pas de mise, on reste en pleine époque victorienne et la révolution n'a pas lieu chez ces dames. Mais la dénonciation d'Anne Brontë apporte quelque chose de rafraîchissant. Malgré tout le récit est très empreint de religion bien qu'il soit tournée de façon positive sur la femme. En cela il reste un produit du XIXe siècle et l'ancre dans son époque. J'ai regretté aussi la fin convenue qui m'a fortement déçu par son respect des codes du roman d'amour victorien. J'ai pourtant aimé découvrir Anne Brontë qui est souvent oubliée à côté de ses soeurs. Ce roman démontre qu'elle aussi avait du talent mais sa disparition prématurée à 29 ans ne lui laissera le temps que d'écrire deux romans et des poèmes.