Sorcières de Mona Chollet
Essai sociologique
Grand format
Edition : Zones
Date de parution : 2018
Nombre de pages : 233
Tremblez, les sorcières reviennent ! disait un slogan féministe des années 1970. Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations.
Davantage encore que leurs aînées des années 1970, les féministes actuelles semblent hantées par cette figure de la sorcière. Elle est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ?
"La sorcière incarne la femme affranchie de toutes les dominations, de toutes les limitations, elle est un idéal vers lequel tendre, elle montre la voie."
Avec cette phrase, Mona Chollet annonce la couleur et démontre aussi pourquoi cette figure effraye tant nos sociétés patriarcales. Dans son essai féministe, l'auteure part des chasses aux sorcières pour arriver à nos sociétés contemporaines où le féminisme a repris à son compte l'image de ces femmes persécutées comme porte-étendards de sa cause.
Dans une longue introduction passionnante, la journaliste contextualise les chasses aux sorcières. S'appuyant notamment de façon critique sur l'ouvrage La sorcière et l'Occident de Guy Bechtel, elle démêle les causes qui ont provoqué cette répression. Ainsi les guérisseuses, les femmes indépendantes et les femmes âgées seront les victimes majoritaires des persécutions. Vues comme les apôtres de Satan, les femmes verront leur statut se résumer à la vie du foyer et à la reproduction. Ce n'est que dans les premiers balbutiements du féminisme que la figure de la sorcière redeviendra respectable et surtout se transformera en porte-étendard. Des femmes telles que Starhawk, Silvia Federici ou encore Anne Llewellyn Barstow s'emparent de la sorcière pour raconter son histoire et montrer que la femme a été bafouée de ses droits et qu'elle doit retrouver la place qui lui est dû.
Construisant son essai sur trois types de femmes : la femme indépendante, la femme sans enfants et la vieille femme, Mona Chollet montre les peurs qu'elles suscitent et la façon dont elles sont considérées. Les témoignages sont parlants et chaque lectrice pourra sans doute se retrouver dans une des situations décrites dont le fameux : "les filles sont nulles en sciences/maths." La journaliste reprend un à un les clichés qui émergent de ces trois situations et les déconstruit en montrant que toute situation n'est pas forcément subie mais souvent voulue. Elle n'hésite pas à apporter des nuances à son discours en parlant aussi de la souffrance de certaines femmes particulièrement celles qui désirent des enfants et ne peuvent être mères par exemple. L'auteure n'hésite d'ailleurs pas à parler de sa propre expérience pour étayer ses propos. Personnellement j'ai beaucoup ri à chaque passage où elle égratigne franchement des journalistes de Elle qui semblent être complètement à côté de leur époque.
Je comprends mieux le succès qu'a connu cet essai sociologique. Bien construit et accessible, Sorcières propose un argumentaire bien ficelé sur le statut de la femme dans notre société. Bourré de références dont certains classiques comme La sorcière de Jules Michelet, l'auteure nous donne envie de lire les ouvrages cités afin de mieux explorer l'histoire de la femme. Un livre percutant à mettre entre toutes les mains !