La servante écarlate de Margaret Atwood
Roman SF
Format poche
Traduction : Sylviane Rué
Edition : Robert Laffont
Collection : Pavillons poche
Date de parution : 2019
Nombre de pages : 538
Dans un futur peut-être proche, dans des lieux qui semblent familiers, l'Ordre a été restauré. L'Etat, avec le soutien de sa milice d'Anges noirs, applique à la lettre les préceptes d'un Evangile revisité. Dans cette société régie par l'oppression, sous couvert de protéger les femmes, la maternité est réservée à la caste des Servantes, tout de rouge vêtues. L'une d'elle raconte son quotidien de douleur, d'angoisse et de soumission. Son seul refuge, ce sont les souvenirs d'une vie révolue, d'un temps où elle était libre, où elle avait encore un nom.
COUP DE COEUR
La servante écarlate a été écrit en 1985. L'auteure vivait alors à Berlin-ouest et le mur de la ville a été une des inspirations de cette histoire. En 2017, la série inspirée du roman a déboulé sur nos écrans telle une onde de choc. D'ailleurs on entendait partout brandi comme un étendard que cette série faisait trembler l'Amérique de Donald Trump. C'est pour dire à quel point ce roman a su anticiper des événements concernant particulièrement les femmes dans une démocratie qui est bousculée. Dans cette édition de 2019, une préface de Margaret Atwood a été ajoutée. C'est un discours prononcé le 15 octobre 2017 lors de la réception du prix de la Paix des libraires allemands. La romancière nous livre un discours inspirant et tellement juste. Je partage une passage qui m'a marqué (mais qui est loin d'être le seul) :
"Chaque nation, et chaque individu, a une personnalité noble - dont elle aimerait croire qu'elle la représente réellement - et une personnalité de tous les jours - qui est bien suffisante pour franchir les semaines et les mois quand tout se passe comme prévu -, et encore une personnalité cachée, beaucoup moins vertueuse, qui peut jaillir dans des moments de menace et de rage, et faire des choses innommables."
Si cette phrase m'a marqué c'est que je trouvais qu'elle était approprié aux personnages de la série et comme je n'allais pas tarder à le découvrir à ceux du roman. Je pense même que c'est encore plus flagrant dans la suite appelée Les testaments que je suis en train de lire.
Revenons-en à La servante écarlate. Le lecteur fait la connaissance de Defred. Ce n'est pas son vrai nom. Le sien lui a été enlevé, sa famille aussi. Dans ce récit se mêlent les souvenirs de sa vie d'avant au présent où elle est devenue une servante écarlate vivant dans une société totalitaire. La servante écarlate est précieuse mais peu aimée. Elles font partie des femmes qui sont fertiles, chose devenue rare dans un monde pollué. Elles sont au service des familles de Commandants, les fondateurs de Gilead.
Gilead est un état totalitaire et fondamentaliste religieux. Les Evangiles ont servi de base aux nouvelles lois. Les femmes sont considérées comme des citoyens de seconde zone et sont tributaires des hommes pour chaque décision ou action. Elles sont réparties selon leurs "compétences" ou statuts. Les Epouses qui sont les femmes des Commandants, les Econofemmes, femmes des citoyens lambdas, les Marthas qui sont des domestiques, les Tantes qui régissent la sphère féminine de Gilead et qui s'occupent notamment des Servantes écarlates, ces dernières sont les matrices de l'état.
Lorsque Defred intègre la maison du Commandant dont elle reçoit le prénom, le régime est encore récent, il n'a que quelques années. Dans son récit, la servante mêle son quotidien aux souvenirs de sa vie d'avant et les événements qui ont mené les enfants de Jacob (les dirigeants de Gilead) au pouvoir. En colère face au laxisme du gouvernement face à la pollution, la baisse de natalité et l'économie descendante, la société s'est laissée leurrée par les fondamentalistes religieux. Finalement le remède est pire que la maladie. Defred décrit comment Gilead se débarrasse des indésirables et des opposants religieux ou laïcs. Elle parle notamment des Colonies, qui sont de deux sortes : bagnes où la terre est radioactive ou fermes agricoles où l'on est esclaves. Par bribes, on apprend que la guerre continue et que la résistance existe. La paix n'est que relative et la guerre menée par Gilead prive les habitants de beaucoup de choses. Magasins vides, rationnement par tickets, réutilisation des ressources matérielles, marché noir font partie du quotidien. La société dépeinte est sombre, glauque et l'espoir d'un changement est mince.
Evidemment Defred parle d'elle. Les souvenirs de sa formation en tant que servante sont précisément décrits. On ressent les sentiments ambivalents de l'héroïne qui caractérisent un endoctrinement partiel. Même si ce n'était pas idéal, elle a eu un choix pour son statut. Elle ne se plaint pas car elle est bien nourrie. Bref, elle semble toujours contrebalancer le négatif par du positif. On remarque même des allusions sur les tenues vestimentaires d'avant qu'elle dénigre parfois. Mais il y a aussi son passé qui lui permet de tenir face à sa solitude. Les souvenirs de son mari, de leur fille mais aussi des bons moments partagés la bercent le soir dans sa chambre. Mais elle est hantée par sa fuite éperdue et ratée qui lui a arraché son mari et sa fille dont elle ne sait rien. Et aussi par sa mère, une activiste féministe, avec qui elle entretenait des relations tumultueuses. Cette dernière reprochant à sa fille son manque d'engagement et sa mollesse. Avertissement que ressasse sans cesse l'héroïne consciente que cette disposition d'esprit généralisée a conduit les fondamentalistes au pouvoir.
Son arrivée chez le Commandant est l'occasion de découvrir la composition d'un foyer type du régime de Gilead. Le mari travaille beaucoup, l'épouse gère le foyer et est responsable des Martha qui exécutent les tâches ménagères. La servante fait les courses, toujours accompagnée d'un binôme, et se plie à la Cérémonie une fois par mois. Cet événement est l'acte de reproduction entre la servante, l'épouse et le commandant. Le quotidien est donc immuable et suit son cours imperturbablement. Le seul réconfort vient de sa rencontre avec son binôme Deglen avec qui elle converse.
Une autre face du pouvoir se révèle peu à peu au fil de l'histoire. Privilèges, lieux de débauche, marchandises interdites, désirs coupables... Gilead se découvre aussi pourrie que la démocratie qu'elle dénonçait auparavant. L'hypocrisie règne en maîtresse. Au départ il ne s'agit que de détails : une cigarette fumée, un verre d'alccol. Puis la vérité éclate. Derrière les façades des maisons proprettes, les commandants abusent de leurs servantes, les épouses se soûlent et le chantage est roi. Defred prend pour cible Serena Joy, l'épouse du commandant. Elle l'analyse, la dissèque décrivant une femme froide et frustrée, un peu perverse mais qui ne peut que se soumettre à son mari. Puis un jour Defred arrête son récit. Ce n'est que cent ans après que l'on découvre ce dernier. Le monde semble avoir changé et Gilead n'est qu'une page de l'histoire. Alors on se surprend à continuer le récit nous-même espérant le meilleur pour Defred.
Ce roman m'a profondément marqué tout comme la série l'a fait. Cette dernière n'a pas évité les écueils en allant au-delà de ce que Margaret Atwood a fait mais elle reste une très bonne série. Ici, j'ai été encore plus marquée par l'ensemble de cette société qui plie l'échine face à un pouvoir fondamentaliste. Etrangement malgré que le récit soit le point de vue d'une seule personne, j'y ai trouvé un regard plus global. L'héroïne dissèque avec lucidité et ironie la société dans laquelle elle vit tout en mettant en lumière son statut étrange. Un roman nécessaire pour ne pas oublier qu'il faut toujours se battre en tant que femme mais aussi en tant que citoyen.