L'homme qui mit fin à l'Histoire de Ken Liu
Roman SF
Traduction : Pierre-Paul Durastanti
Edition : Le Bélial
Collection : Une heure lumière
Date de parution : 2016
Nombre de pages : 102
Futur proche.
Deux scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges. Plus de secrets d'État.
Créée en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général Shiro Ishii, l'Unité 731 se livra à l'expérimentation humaine à grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936 et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes… L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002, passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant des années, est la première cible de cette invention révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à l'Histoire.
Voilà un ouvrage un peu déroutant, un peu OVNI car on s'attend que l'histoire soit traitée autrement. Quand on lit la quatrième de couverture, on imagine voyages dans le temps, interventions dans le passé, changements dans le futur mais rien à voir avec ça, ce petit roman se révèle plus subtil.
Loin d'être une narration banale, Ken Liu a choisi un mélange de témoignages, d'interviews, de conférences pour nous conter l'histoire d'un couple de scientifiques qui découvre comment voyager dans le passé et assister à des événements historiques. Quelque chose dans le ton choisi plus quelques phrases habilement placées montrent qu'il n'y aura pas de happy end notamment pour le professeur Wei, le mari, autour de cette découverte scientifique.
Les chapitres vont s'articuler sur l'impact de cette découverte sur le monde scientifique, sur le public et les débats qui découlent mais aussi sur les conséquences qu'elles vont avoir sur la vie du professeur Wei. Du fait, tout nous est clairement exposé : le voyage dans le temps, la disparition du moment vécu, les conséquences sur les témoins, le débat sur l'Histoire et de sa probable disparition, le négationnisme. Tout est abordé avec beaucoup d'émotion mais sans le sens exagéré du dramatisme. Les propos sont pudiques et finalement le voyage dans la fameuse unité 731 se fait tardivement, amenée sans voyeurisme morbide malgré des passages insoutenables.
Ce qui est vraiment réussi ce sont ses points de vue entre témoins descendants des victimes et les bourreaux désormais vieux qui exposent les faits. pas de vengeance criarde ici mais de la dignité et un besoin de savoir et de reconnaissance. Cette histoire est une ode à la vérité, au devoir de mémoire. Et l'auteur n'épargne personne, évidemment les japonais dont le silence et ensuite le négationnisme s'imposent mais aussi les américains qui préfèrent les avancées scientifiques à l'humanité ou encore le gouvernement chinois, peu impliqué et qui laisse les victimes de l'unité 731 s'évanouir des souvenirs.
Comme dit plus haut il y a aussi plusieurs passages consacrés à l'impact qu'a cette découverte sur le monde scientifique. Ken Liu développe une réflexion sur l'archéologue qui, pour découvrir l'Histoire, détruit en partie le passé pour mieux la connaître, un paradoxe qui se couple avec la subjectivité dont fait preuve l'historien pour analyser l'Histoire de là découle les combats d'un tel métier qui peut frôler la revendication. D'ailleurs le professeur Wei sera victime de toutes ses assertions dans le roman, un traitement qui le changera en tant qu'être humain.
Avec L'homme qui mit fin à l'Histoire, Ken Liu signe un roman fort sur l'horreur humaine, le souvenir et le droit à la vérité. Avec un talent indéniable, il arrive à embarquer le lecteur pour un voyage triste et insoutenable tout en le mettant en garde sur les dérives possibles. Un roman qui ne peut laisser de marbre.